mardi 17 juillet 2012

Moi, je ne me serais pas engagée.

L'histoire se passe en 2006. Je viens tout juste de valider mon Master 2 et d'enchaîner sur un CDD débile d'un an pour payer le loyer. Alors que ledit CDD est sur le point de se terminer, je vois une annonce pour le taf de mes rêves, ZE taf. Débutants acceptés et en CDI. Tellement beau que ça n'a pas l'air vrai.
Avec au ventre la hâte de me barrer du poste de c** que j'occupe alors, je postule comme une petite folle, avec lettre de motivation de type "moi-moi-m'sieurs-dames, prenez-moi, moua-moua-mouaaaa-ragadeeeez-comme-j'ai-meugnonne".

Miracle : mon CV passe, je suis convoquée à l'entretien. "Mais avant on va vous faire passer un petit test, ça ne vous ennuie pas ?" (La question qui tue, quoi. Dis donc, Machin, je n'ai pas passé deux heures sur ma lettre et mon CV pour t'envoyer promener maintenant, hein).

J'arrive devant les locaux vingt bonnes minutes en avance. Horreur.
J'peux pas monter maintenant, quand même. C'est un coup à passer pour une névropathe, un truc pareil. Dix minutes d'avance, encore, ça passe, mais vingt minutes ça fait vraiment désespéré. Certes, je suis désespérée mais ils ne sont pas supposés s'en rendre compte.
Je fais quoi ?
J'peux pas fumer une clope, sinon je vais puer le tabac pis vu que je me suis pfffuitt-pfffuitté du Chanel avant de partir, bonjour le mélange malsain.
J'ai sorti mes bouquins du sac à main ce matin parce que je pensais que ça ferait touriste, du coup j'ai rien à lire.
C'est un foutu quartier de bureaux, y a pas un rade en vue et de toute manière j'aurai pile pas assez de temps pour boire un caoua. Sans compter qu'un petit noir, ça me ferait une haleine de bufflonne.
Y a pas un banc dans tout le quartier.
Y a pas un coin d'abri, non plus.
Il neige, sa mère la truite.

Après dix minutes de gelage de meules sur le bout du trottoir, je me décide à appuyer sur le bouton de l'interphone. J'ai atteint le temps d'avance maximum acceptable, je ne sens plus mes doigts, c'est le bon moment. "Bonjour, j'ai rendez-vous pour un entretien !"
"C'est au troisième", me fait une voix ultra-pouffe. Je monte dans l'ascenseur. Petite vérification de ma tronche dans le miroir...

Ah ouais, super. Donc j'ai de l'eye-liner jusqu'aux oreilles et le cheveu façon berger de brie, on dirait que je me suis accrochée sous la voiture du métro au lieu de monter dedans. Par-fait.

Vite vite vite on retouche le barda, aaAAA pinaiz l'ascenseur arrive à l'étaaaAAaage.
"Bonjour, c'est par ici", dit-on derrière moi.
Eeeeeh chiotte. Poupouffe Ière m'attendait à la sortie de l'habitacle pour me guider dans le couloir.

Pensée n°1 : la vache, merde, y a pas que la voix qui est pouffe. Entre le blond platine supra-cheap, la chemise marque-à-putes et le fond de teint appliqué à la machine à projeter, bonjour le tableau.

Pensée n°2 : et toi, tu l'as vu le tien, de tableau ? Parce qu'elle, elle t'a bien vue, plantée devant le miroir, bouche ouverte façon silure, en train de te récurer le dessous de l'œil avec la manche gauche de ton manteau tout en essayant désespérément de te démêler les cheveux vite fait de la main droite. Alors hein, fais pas la maline, vilain Pépin.

Bilan provisoire : j'ai les doigts bleus de froid, les yeux noirs d'eye-liner, les joues rouges pour cause de frottage hystérique, les pompes trempées qui font chouick-chouick quand je marche, le bas du pantalon comme une serpillère, le cheveu en berne - et je viens de me faire choper en flag' de ravalage de façade à l'arrache. Le tout avant même d'avoir passé la porte.


Je l'sens bien, cet entretien.


(Note pour plus tard : quand ça part comme ça, bien se méfier. Suite de l'histoire à venir, dans un prochain post.)