jeudi 16 janvier 2014

Atypique et colegram



Évidemment, quand on présente un CV patchwork, neuf fois sur dix, les recruteurs font le nif. Eh bien, ils ont tort. Les parcours atypiques c’est le bien, mangézan et pour plein de raisons.

D’abord, parce qu’il faut vivre avec son temps. L’époque bénie où, quand on savait à peu près bosser (ou pas, d’ailleurs) on pouvait rester dans la même boîte 40 ans d’affilée, c’est mort depuis un petit moment. C’était la France de papa, ça, m’sieurs-dames. Aujourd’hui, il faut compter ouatt’mill’ petits tafs poucrates pour arriver à s’en trouver un à peu près stable.
(C’est marrant, on a l’impression d’enfoncer des portes béantes quand on parle de la généralisation du précaire et du contrat de courte durée ; pourtant il semblerait que les recruteurs de tout poil, eux, continuent à trouver ça suspect.)

Ensuite, parce qu’un profil atypique implique des tas de qualités que, pour la plupart, les recruteurs semblent ignorer. Avant de juger le bonhomme, relisez un coup – y compris les recommandations des anciens employeurs, quand il y en a.
Ensuite, songez un peu aux points suivants :

1/ Les petits boulots sont rarement tous dans la même branche. Vous avez donc face à vous quelqu’un qui a dû s’adapter à beaucoup de milieux différents, mais aussi à moult patrons et donc autant de façons de travailler. C’est quelqu’un de flexible et probablement brillant qui, bien souvent, a eu très peu de temps pour apprendre les subtilités de son poste ou de son nouveau domaine d’activité.
Ben oui, hein. Parce que quand il faut remplacer un congé mat’, un CIF ou autre, on vous fournit rarement les clefs. Tiens, prends ça et ça, fais ça, t’as 3 jours pour être aussi efficace que la personne que tu remplaces et qui ne faisait que ça depuis 10 ans. Sympa d’être venu, demerd yourself, merci bonsoir. C’est ou fatal ou formateur, mais y a pas de milieu.

2/ La personne dont vous venez de recevoir le CV n’est visiblement pas le genre à glander en attendant que tout tombe comme par magie : c’est quelqu’un qui a pris les devants, qui a voulu travailler même si parfois c’était moins rentable que de rester au lit en touchant des allocs.
Faut avouer que quand on a un bac + trop, passer des semaines à passer la serpi dans une supérette, c’est un poil frustrant. Ben vot’ p’tit gars, là, il a pris le taureau par les cornes et le balai par le manche, en voiture Ginette et tant pis pour le prestige.
Y en a, hein, des jeunes diplômés qui se touchent les cheveux. Que ce soit par snobisme (keeuuuw ? Mais j’ai un bac + plein en Balaiserie, moi môssieur ! Tout poste en dessous de Maître du Monde n’est pas assez bien pour meuw !), par feignasserie (boarf. Bosser à quoi bon. Papa paie et maman coud, chuis bien, là.), par vénalité (je ne sors pas du plumard pour moins de 60K par an) ou autre raison peu reluisante, il y en a qui choisissent le duvet et un chocolat chaud.
Maurice Atypique, lui, nan. Il s’est sorti les doigts du fiax et il est allé mériter sa pitance. Il a pris des jobs pas fascinants ? Peut-être. Mais au moins, ce n’est pas un tire-au-boule.

3/ Les diverses expériences pro ou les raisons des trous dans le CV sont très révélatrices de la personnalité du futur recruté potentiel.
 Il a un diplôme de compta et a bossé dans une boulange ? Il est carré dans son travail, mais aussi prêt à se lever à 3h du matin pour aller taffer si besoin. Vous pouvez presque à coup sûr miser sur un futur employé ponctuel et travailleur.
Elle a arrêté de bosser un an pour faire le tour du Bengladesh en vélo couché ? Elle est déterminée, aime se lancer de sacrés défis et ne les lâche pas.
Il a bossé à Rungis pendant deux ans pour pouvoir aller à la fac la journée ? C’est un ambitieux. Il est résolu, résistant à la fatigue et probablement bien rodé aux négociations commerciales tendues.


Alors ça vaut ce que ça vaut, mais je dirais bien qu’il faut au contraire se méfier des profils trop linéaires. Une formation - un secteur - un emploi ? Je vous mets une bonne paire d’œillères pour aller avec ?

Vu le contexte économique, quelqu’un qui prend un boulot et n’en sort pas, ça paraît louche – voire préoccupant.
Ou alors, c’est le fils de Quelqu’un.
Mais non, que dis-je, ça n’arrive jamais1.




(et la réponse à la question que personne n’a posée mais hein zut, c’est moi la cheffe du blog j’fais c’que je veux : oui, je prêche graaaave pour ma paroisse : il faut bien croûter alors, en plus de mon métier d’origine, j’ai aussi été
enquêtrice par téléphone,
poissonnière,
assistante de direction import-export,
bibliothécaire scientifique,
serveuse,
clerc d’huissier,
manutentionnaire,
démonstratrice de produits asiatiques,
monitrice informatique,
nounou,
archiviste d’entreprise
travailleuse à la chaîne,
rédactrice
maraîchère,
prof dans le supérieur,
et plein d’autres trucs encore – et j’assume !)

1 vous vous en doutiez, ce sera le sujet d’un post à venir.