jeudi 30 mai 2013

Où l'on voit des recruteurs margoulins, des questions à munition et même Maître Capello.

Les recruteurs sont d’infâmes tartuffes. Ils savent pertinemment qu’il est strictement illégal de poser certaines questions en entretien… ce qui ne les empêche pas de tenter le coup quand même. Et ces questions-là, je les ai toutes eues – soit sous forme de question directe, soit à la fourbasse, genre « je parle je parle, tu me dis si tu veux intervenir, hein ». Toutes, vous dis-je. Une fois, même, je les ai toutes eues pendant le même entretien.

Vous vous souvenez de ce rendez-vous hivernal désastreux pour un poste trop beau pour être vrai ? Dès l’entretien d’embauche, ça puait le hareng mort.
Déjà, pour démarrer, un test de compétences – fréquent dans ce métier. On me colle une copie et un stylo et en route ; je m’applique, en tirant la langue et tout, termine et me lève pour sortir… Ah tiens, personne dans le couloir. Toux discrète… (*keuf keuf*)
Moins discrète… (*Keuf keuf !*)
Vraiment pas discrète… (*RRREUUUHTEUTEUTEUUUUUH !*)
Poupouffe finit par émerger de derrière son Freecell, m’englue de son regard batracien et m’indique une autre pièce : « M. et Mme Rapiat vont vous recevoir ». Ah bon ? Mais mon test ? Non ? Je le garde, alors ?

10 minutes et pas un verre d’eau plus tard, débarquent les patrons. Par réflexe d’étudiante, je leur tends ma copie avant de dire bonjour. Madame la prend pour la relire, tandis que Monsieur me lance sur un entretien-marathon qui, en tout, durera 90 minutes. Non, ce n’est pas une faute de frappe. 1h30 sur le grill, dont je vais vous livrer ici les meilleurs morceaux.

Attention, dès la première question ça part très fort.

M. Rapiat attrape mon CV et ouvre les hostilités :

« Mlle Ombrello ? Tiens, c’est amusant. C’est de quelle origine ? »
(Ouhlà. Terrain miné. Poste à dimension internationale, la question peut se justifier… je choisis de ne pas ruer dans les brancards tout de suite.)
C’est un nom italien, monsieur.
« Vous êtes italienne ? »
Non, française, de famille italienne.
« Ah, très bien. »
(comment ça, très bien ? Italien c’est pas bien ? Il veut finir dans le fleuve avec des charentaises en béton, lui, ou quoi ?)
« Très catholiques, les italiens, en général, non ? », dit-il, laissant suivre un loooong silence.
(Amen to that, but… really?)
« Je vois que vous avez obtenu un Master 2 en 2005, donc vous avez… »
(Allez, je joue la bécasse.) Un diplôme de 3e cycle, oui.
« Oui, enfin vous devez avoir entre 25 et 30 ans, a priori ? »
(Il insiste, le bougre.) Tout à fait.
Il laisse traîner le silence, mais je ne marche pas. Crève charogne, s’tu veux savoir mon âge, faudra tuer une secrétaire de mairie ou envoyer des chocolats à ma mère. Non mais.
« Master 1 à l’université de VilleOndée 2… Fief des syndicats étudiants, ça. », dit-il, sourcils circonflexes et l’air d’attendre une réponse. Je ne moufte pas.
« Et je vois que votre Master 2, vous l’avez passé à Bourg-Charbon, par contre. Une ville très à gauche aussi, d’ailleurs, tiens. »
(Silence. Tu veux savoir où je vote ? C’est mort.) Ah ? Oui, c’est possible.
« Vous êtes mariée ? Ou vous partagez votre vie avec quelqu’un ? »
(silence estomaqué. Puis, lâchement :) Euh, si on veut. Mais…
« Et vous avez l’intention d’avoir des enfants ? »
(C… Comment ? Ah merde, le sourcil est parti tout seul.) Euh… Attendez…
« Ou est-ce que vous en avez déjà ? C’est important pour nous, vous savez. Visiblement vous avez déjà changé de ville, nous devons savoir si vous avez des attaches à OndéeVille, si vous êtes prête à vous engager à long terme avec nous. »
(silence. Nan, gamin, désolée mais là tu ne m’auras pas.)
« Or le meilleur argument pour rester dans une ville, c’est encore d’y fonder une famille. »
(Il laisse un blanc énorme, là. C’est sûr, il veut une réponse, il ne lâchera pas. Je dégaine l’humour débile ou pas ? Allez.) J’entends bien. Cela dit, ça fait dix ans que je vis ici : mes amis sont ici, ma famille n’y est pas… Le paradis, en somme. Ah ah ah.
« Ah ah ah. Enfin bref. »
(Ouais, c’est ça, « enfin bref », ouais.)
« Vous avez un handicap ? »
(Gné ?) Euh, à part un sens de l’humour particulier, pas que je sache, non, ah ah ah. Pourquoi ?
« Oh, euh, ah ah ah, hum, c’est seulement pour savoir si en cas d’embauche on monte un dossier ou pas. Ahem. Mais sinon, de manière générale, vous êtes en bonne santé ? »
(vite, se retenir de l’envoyer chier et faire une blague) Ah non mais je vous rassure : là j’ai une sale tête, mais c’est uniquement parce que je suis venue à pied sous la neige, en temps normal j’ai l’air beaucoup plus en forme, ah ah ah.
« Ah ah ah. Vous répondez toujours aux questions qui vous embêtent par une pirouette ? »
(OUCH ! Vache, je ne l’ai pas vue venir, celle-là.) Hi hi hi, oui.
« Ce n’est pas très bien, vous savez. Il faut savoir affronter les choses. »
(et toi, tu vas t’affronter mon genou dans les noix, si tu continues, espèce de casse-pieds).

Nous avons donc là le cas d’école qui va bien. Politique, syndicat, vie privée, âge, religion, origine, santé, handicap : pack winner.

La cerise sur le gâteau (pour finir sur une touche sucrée), elle est arrivée à la fin. Après la cuisson à point de Monsieur, Madame débat avec moi de mon test. Plus à l’aise, je réponds à ses questions et m’en tire, je crois, assez bien. Elle note avec plaisir que malgré la longueur et la raideur dudit test, je m’en tire sans faute d’orthographe ni faute de syntaxe.
Monsieur se croit obligé de commenter : « C’est vrai, ça c’est une chose très importante. Ici, on fait attention à ce que toutes nos productions soient irréprochables, ça fait partie de nos valeurs – valeurs professionnelles mais aussi familiales. D’ailleurs, nous avons quatre-z-enfants et nous…. »

À partir de là, sa voix a été couverte par mon Maître Capello intérieur qui criait de rage, hurlait de désespoir, bramait de vieillesse ennemie. Je n’ai jamais su ce que ce vieil horrible avait bien pu enseigner à ses quatre-z-enfants, ses cinq-z-ornithorynques ou ses sept-z-haricots.

Mais une semaine plus tard, ils m’ont rappelée.
J’ai eu le poste.
Et ça refera un post.