lundi 28 octobre 2013

Entendu au boulot...

... ce matin, alors que je passais dans le couloir, à propos de mon pull :

« Nan mais franchement, ce violet avec ce rose...
- Attends, pis je crois qu'il y a encore du violet en haut, en plus...
- Oh là là... »

(comme quoi, il y a des collègues plus débordées que d'autres)

vendredi 18 octobre 2013

vendredi 4 octobre 2013

Dépression Y



Oh, bien sûr, quand on rationalise, on se dit qu’on a de la chance d’avoir un taf ; on repense aux années de galère, de chômage, de factures pas payées, de crainte de l’huissier, on se dit qu’on a du pot d’en être sorti.

Mais justement : pour en sortir, bien souvent, on a pris le premier truc qui passait. On n’a pas voulu jouer le casse-pieds, le parasite qui vit aux crochets de ses parents et de ses amis jusqu’à avoir trouvé le poste idéal. On en a eu marre de faire ses courses avec uniquement des produits marque pouce, alors on a bravement accepté un boulot très loin au-dessous de nos capacités et de notre expérience, on a profité les premiers mois de ces jolies sommes qui tombent sur le compte en banque. On a noyé nos amis sous les chocolats, les parfums, les jeux vidéo et les bouquins, les repas au restau et les bouteilles de champagne. C’est un petit taf. Ce n’est pas Byzance non plus – et d’ailleurs on mettra un semestre à éponger les dépenses de fêtes susmentionnées. Mais voilà, ça y est ! Nous et notre bac +5, on a enfin dégoté un taf au SMIC. W00t.

Et puis, est arrivé l’ennui. Oui, on est trop qualifié pour ce poste. Oui, l’ambiance est à chier et le salaire minable. Oui, on utilise 1% de nos compétences. Du coup, on se sent bridé, brimé, utilisé. Les collègues sont souvent limités, au mieux ; pas loin de la bêtise totale, au pire. Le patron vous case dans un joli placard parce que les postes un peu plus sympa sont réservés à ses amis et sa famille. En somme, sans espoir de formation (même interne) ou d’évolution, vous resterez bien gentiment où vous êtes en faisant le moins de vagues possibles. C’est tout du moins ce que l’on attend de vous.

Bien sûr, on ne peut pas chercher de réconfort auprès de la famille. Papa, petit comptable, a appris son métier sur le tas et fini sa carrière associé d’un grand cabinet ; maman, qui a arrêté l’école en 4e, a fini avec un salaire égal à 4 fois le SMIC, sans se qualifier davantage entretemps. Papa a toujours travaillé, Maman a fait deux mois de chômage dans toute sa vie. Comment pourraient-ils comprendre ? Dans leur petit monde, les chômeurs étaient encore souvent des fainéants. On pouvait trouver un boulot en prenant son café au bistrot. Notre monde à nous, ils ne peuvent même pas le concevoir.
Les potes ? Pas tellement plus. Pour la plupart, ils sont comme nous : ils casent un master de sciences de l’éducation à remplir des étagères de supermarché ; maudissent leur licence de lettres classiques en répondant au téléphone sur la plateforme d’une célèbre mutuelle ; ruminent leur diplôme de traducteur-interprète en affranchissant le courrier de leur entreprise. Et ça, ce sont ceux qui ont de la chance. Les autres en sont précisément où on en était nous-mêmes il y a six mois encore : en galère.

Alors on reste où on est. Et on en crève.

On se soucie des jeunes ; on se soucie des vieux. Nous, bonne génération Y, devons nous soucier de nous-mêmes ; il nous faut à tout prix éviter de singer l’enthousiasme caduc de nos parents et la dépression contagieuse de nos semblables, préparer cette retraite que nous n’aurons pas, la vie de ces enfants que nous ne pourrons pas assumer financièrement, mettre un mouchoir sur ces compétences que nous n’utiliserons jamais 35h/semaine. Et tenter de ne pas nous jeter sous les rails d’un train.

T’manière, pas moyen : y a grève SNCF.


mardi 24 septembre 2013

Plus faux que moi, rumeur



Faute d’une RH ou d’une direction qui se secoue le tronc pour faire circuler les infos, Radio-Couloir est bien souvent la seule source d’informations de l’entreprise.

Caractéristique n°1 : on capte Radio-Couloir beaucoup plus facilement quand on se trouve près de la machine à café.

« Bonjouuuuuur et bienvenue sur Moquette FM, votre radio préférée du matin, il est neuf heures dix !
Alors, en forme ? Nous prenons l’antenne ce matin avec une bien triste nouvelle : l’un des pots de la machine à café a disparu. Femme de ménage maladroite qui l’aurait cassée ? Collègue cleptomane ? Qui peut le dire ? Quant à moi j’ai mes soupçons, mais je ne voudrais pas m’avancer… »

Caractéristique n°2, comme on vient de le voir : Radio-Couloir n’accuse pas souvent et préfère laisser planer des silences lourds de sens, de type « ouaich t’as vu, on se comprend ».

« Aujourd’hui, temps couvert sur la région. C’est tout pour la météo, passons aux informations de dernière minute avec notre correspondant permanent au trou de la serrure, Fernand.
-       Tout à fait, Georgette. J’étais hier soir encore de permanence, lorsque j’ai vu passer le patron qui se dirigeait vers la compta. Quelques minutes après, Josiane sortait de son bureau en larmes. A priori, elle a reçu une mauvaise nouvelle…
-       Avez-vous pu interviewer certains des participants ?
-       Malheureusement non, Georgette. Josiane a quitté l’entreprise cinq minutes après l’incident et le patron s’est enfermé dans son bureau. La nouvelle a été difficile à annoncer pour lui aussi, semblerait-il… »

Et c’est ainsi que le présentateur de Radio-Couloir peut conclure :
« Eh oui, Fernand, c’est bien triste de devoir renvoyer une collaboratrice lorsqu’on a des rapports si intimes avec elle... » - alors même que le patron est célibataires, certes, mais homo et que Josiane est une heureuse jeune mariée. Mais qu’importe : Radio-Couloir ne s’embarrasse pas de la réalité.

Caractéristique n°3 : Radio-Couloir fait souvent relais des patrons quand ceux-ci ont la flemme d’annoncer les niouzes par eux-mêmes.

« Chers auditeurs, nous avons rencontré Bras-Droit-de-Big-Boss hier, qui nous a annoncé que Rigoberte remplacerait Germaine après le départ en retraite de cette dernière. Et voici justement notre invitée de la matinale : Rigoberte ! Alors Rigoberte, quel effet est-ce que ça fait, de remplacer sa supérieure ?
-       Euh, eh ben je sais pas, enfin moi on m’a rien dit encore, tout ça est arrivé très vite… »

Et bien sûr, le flash info suivant donne quelque chose comme ça :
« Chers auditeurs, cette nouvelle de dernière minute vient de tomber à la rédaction : Germaine a commencé à former Mauricette en prévision de son départ en retraite. Ce n’est donc plus Rigoberte qui prendra le poste de superviseur ! Rigoberte, bienvenue à la matinale. Comment vous sentez-vous après cette nouvelle ? Est-ce que vous le vivez comme un désaveu, une trahison ?
-       Euh, eh ben je sais pas, enfin moi on m’a rien dit encore, tout ça est arrivé très vite… »

Caractéristique n°4 : Radio-Couloir a tout sauf la mémoire courte.
« Bonjour chers auditeurs. Nous interrompons momentanément nos programmes de travail pour un communiqué de Frida, qui nous informe que sa collègue Plectrude lui a parlé de travers aujourd’hui sans aucune raison valable. Cela dit, la rédaction n’est pas surprise de cette information : nous connaissons tous le passif de Plectrude en matière de sautes d’humeur, en particulier grâce à l’incident du clafoutis à l’artichaut de 1997… »

Station préférée des potineurs en tous genres, Radio-Couloir est une arme dangereuse, surtout lorsqu’elle prend la place (vacante) de la communication d’entreprise. Elle devient l'exutoire des frustrations de chacun, le forum de toutes les paranoïas, de tous les mensonges et de toutes les mesquineries.

Sachez-le, RH et patrons de France : ce que vous ne dites pas, Radio-Couloir l’inventera.

À bon entendeur.

mardi 17 septembre 2013

Entendu au boulot - Big Boss et le long terme

Dialogue du jour entre GrandPatron et votre servitrice :

« Patron, je ne suis pas sûre qu'il faille faire ça. Ça ne résout pas le problème, ça ne fait que le décaler à 2018.
- Oh ben t'façons, on s'en fout : dans 5 ans, on ne sera plus là. »

*facepalm*

lundi 16 septembre 2013

Glossaire recruteur-français


Chers lecteurs, pour me faire pardonner de vous avoir abandonnés pendant deux éternités, je vous livre aujourd’hui le secret des annonces de recruteurs.

Ouais parce que les petites annonces d’emploi, c’est comme les petites annonces pour les appartements : quand on les lit, comme ça, on a l’impression qu’on comprend tous les mots. 
Sauf que voyez-vous, jeune padawan, pour un recruteur, ces mots ont un second sens dont vous ignoriez tout. Et c’est un coup à se faire bananer. 

Voici donc un lexique non-exhaustif à l’usage des optimistes de tout poil, au but avéré de les faire redescendre dans la dure réalité du marché de la chair humaine de l’emploi.

FORMATION / CONNAISSANCES

-          « bac +2 maximum » : exigence de patron margoulin. On va vous demander plein de trucs et vous payer à l’arrache. Ben ouais, vu que vous n'avez pas de gros diplôme.
-          « bac + 2 minimum » : exigence de patron archi-réac, persuadé que toute personne de moins de 45 ans et sans un bac + 5 est forcément un décérébré communiquant exclusivement en langage SMS. Moralité, on va vous confier des tâches débiles pendant au moins deux ans avant de vous filer un quelconque taf intéressant. Des fois que.
-          « Permis B exigé » : l’entreprise se trouve dans le trou du c** du monde et/ou vous devrez récupérer le pressing / les enfants / les courses Auchan Drive du boss pendant vos pauses déjeuner.
-          « Compétence X appréciée / un plus » : compétence X exigée.
-          « Bilingue anglais » : capable d’articuler trois mots en rosbif (mais « bilingue », ça fait plus chic)
-          « Facilités avec les outils informatiques » : une phrase qui peut vouloir dire deux choses :
o   Soit on va vous tanker sur un progiciel maison particulièrement obscur, avec interface moisie de série,
o   Soit vous serez l’unique recrue capable de bidouiller trois formules un quart sous Excel, ce qui fera de vous l’éternelle bonne pâte qui dépatouille les collègues numérignares.

RÉMUNÉRATION : 

-           « Salaire : non précisé » : salaire à la tête du client. Très probablement aux alentours de SMIC + 1 paquet de clopes.
-          « Salaire : selon profil » : voir « salaire : non précisé ».
-          « Salaire : évolutif » : voir « salaire : non précisé », avec mention spéciale SMIC sans le paquet de clopes.
-          « Salaire : motivant » : voir « salaire : non précisé », avec mention spéciale salaire fixe tiers-mondiste et commissions rarissimes.

LE POSTE LUI-MÊME : 

-          « Dans le cadre d’une création de poste » : vous êtes là pour décharger un service blindé. Les anciens vont vous refiler les merdes qu’ils attendaient de pouvoir fourguer à quelqu’un depuis des mois.
-          « Entreprise à taille humaine » : petite boîte qui se prend pour une famille. Le patron risque d’être un fouille-merde notoire, ou au moins un type salement intrusif. Ne pas compter ses heures (quand on aime…).
-          « Rattaché au (PDG / service technique / etc.) » : larbin du (PDG / service technique / etc.)
-          « En renfort de l’équipe » : ramasse-crotte de l’équipe. Poste précaire, fourni uniquement le temps d’un pic d’activité.
-          « Poste basé à X » : dans un premier temps, vous bosserez à X. Mais attention au siège éjectable (pensez à regarder les clauses de mobilité avant de signer).
-          « Et divers autres petits travaux » : toutes les bouses échoueront sur votre bureau.
-          « Accessible aux travailleurs handicapés » : on a besoin de quelqu’un à foutre dans un placard pour avoir des quotas pas trop crades, alors valides s’abstenir.1
-          « Possibilité d’évolution en CDI » : on vous fera miroiter le CDI ad vitam æternam, puis on vous jettera comme un Kleenex.

VOUS :

-          « Très bonne présentation exigée » : non-femme, non-jeune, non-mince, non-blanche, non-maquillée s’abstenir. Porteuses de Doc Marten’s, piercings, jeans, hennés / tatouages, ne pas postuler. Potiches bienvenues. Compétences autres que la poticherie non nécessaires.
-          « Bonnes qualités relationnelles » : vous allez bosser avec les pires chieurs du monde et vous ne pourrez que serrer les dents en attendant que ça passe.
-           « Bonnes capacités d’organisation » : le patron est bordélique en diable. À vous d’écoper quand la barque prend l’eau.
-          « Priorisation des tâches » : voir « Bonnes capacités d’organisation » 
-          « Motivé » : vous êtes la 8e recrue à ce poste en 12 mois OU vous travaillerez 55h payées 35 OU au premier arrêt maladie de 24h, c’est la porte.
-          « Orienté client » : vous allez passer 90% de votre temps à faire du SAV au téléphone.
-          « Polyvalent » : vous allez hériter d’un poste mal défini dans une organisation brouillonne. Vous serez le bouche-trou de service.
-          « Force de proposition » : la boîte est grave dans la mouise. Vous serez l’œil neuf capable de voir exactement où ça foire. En gros, consultant avec un salaire d’employé – le tout en plus de vos tâches normales, bien sûr.
-          « Rigoureux » : pas le droit à l’erreur. Patron tatillon.
-          « Autonome » : pas la peine d’espérer de l’aide des copains. Vous avez un taf à faire, la formation sera minimaliste et si vous galérez, on vous laissera crever la gueule ouverte.
-          « Discret » : le patron reçoit des stars ou pique dans la caisse. Dans un cas comme dans l’autre, interdiction d’en parler à qui que ce soit.
-          « Flexible / disponible » : horaires improbables qui changent tous les jours. Vous travaillerez le jour, la nuit, les week-ends, le premier de l'an, pendant votre propre accouchement s'il le faut. Synonyme : « Taillable et corvéable à merci ».

Au final, chers chômistes, ne vous voilez pas la face : plus l'annonce a l'air mirobolante, plus le taf sera foireux.

À bon entendeur...

1Et excusez-moi bien, mais je trouve ça aussi ignoble pour les travailleurs handicapés que pour les travailleurs valides...


lundi 10 juin 2013

Assez, Dick !

ou
Indemnités prescrites, mode d’emploi

Juillet 2005. Toute jeune diplômée, pleine de rêves professionnels, je me présente pour la première fois chez Paul. À cette époque bénie, Paul et son ami Dick font encore chambre à part ; il faut donc aller les voir séparément.

Tout d’abord, passage chez Dick qui, comme son nom l’in-Dick, n’est pas très aimable.
« Oh, là là… Sérieusement, vous n’avez pas encore fait les démarches auprès de l’ANPE ? » (C’est l’ancien petit nom de Paul.), rouspète, ulcérée, une conseillère aux yeux massacrants et à l’humeur de mérou, à moins que ce ne soit l’inverse. « Bon écoutez, ne me faites pas perdre davantage de temps, j’en ai déjà trop peu. Contactez l’ANPE et rappelez-nous. Je vous laisse vous diriger vers la sortie. »

Un tantinet refroidie par l’accueil carcérohuissier[1] reçu chez Dick, je prends rendez-vous avec Paul, qui n’est pas libre avant 3 bons mois, ce qui signifie qu’en attendant je vais devoir manger des cailloux et payer mon loyer au lance-pierre. Ça tombe bien, y a une gravière pas loin.

Lorsque Paul me reçoit enfin, on me fait refaire tout mon historique professionnel (blindé de petits boulots, pour cause de « ce n’est pas maman qui paie mes factures pendant que je vais à la fac »). Me propose zéro taf, mais des stages d’écriture de CV et de lettres de motiv’, ce à quoi je réponds gentiment que mes tonnes de petits jobs prouvent que je sais déjà faire. Et là, la question qui tue : « Au fait, vous avez vu Dick ?
-          Oui, mais il m’a dit que je devais vous voir avant.
-          Ah bon ? Ah. C’est étonnant. Eh bien, pour votre indemnisation, il ne vous reste qu’à reprendre rendez-vous avec Dick, alors. »

La conseillère m’explique ensuite qu’avec mes diplômes, je ferais mieux de me tirer à l’étranger – conseil qu’à retardement je me maudis de ne pas avoir écouté. Et conclut sur une phrase que j’ai entendue six mille fois depuis :
« Cela dit, je ne me fais aucun souci pour vous. »[2]

J’appelle Dick direct en sortant, qui me dit « ouais ouais, pas de problème, passe d’ici un mois et demi ». Traduction : tu vas te taper 45 jours de plus d’alimentation minérale.
Entretemps, bien sûr, je trouve un petit boulot alimentaire quelconque. J’appelle Dick pour l’avertir, Dick prend note. Du moins le crois-je.
15 jours plus tard, il y a une lettre de lui dans ma boîte aux lettres. Bonjour, je ne te donnerai pas de sous, tu n’avais qu’à venir au rencard ou au moins m’avertir. Mais mais mais ?!
Je rappelle Dick, un rien tendue. « Mais j’avais dit à la dame au téléphone !
-          Ah ben oui, il y a une note dans votre dossier. Bon, on va reprendre un rendez-vous.
-          Mais j’peux pas, je travaille !
-          Ah bon ? Très bien, dans ce cas on va faire un dossier papier pour vous donner des sous et ça va le faire tout seul. »

Trois semaines plus tard, ne voyant rien venir, je rappelle. « Pour être indemnisée, vous allez devoir venir en agence.
-          Mais j’peux pas, je travaille ! », insisté-je.
« Oui mais c’est comme ça. Venez tel jour de semaine, en pleine journée, merci bonsoir. »

Je prends un congé exceptionnel et anticipé auprès de mon patron compréhensif, me rends en agence. Où on m’annonce que j’aurais dû venir plus tôt, que si je travaille on aurait pu m’envoyer un dossier par courrier plutôt que de me convoquer sur place, que je n’avais pas besoin de voir Paul avant de voir Dick. Je commence gentiment à bouillir et réponds un peu sèchement à la brave dame.
Erreur, grossière erreur.
« Bon, j’envoie votre dossier, à bientôt. »

Et silence radio.

Je rappelle quelques semaines plus tard. « Bonjour ! Je vous appelle pour connaître l’avancement de mon dossier.
-          Quel dossier ? »
Mmmmmhhsdfgqdrgoeoiurghqeouidf BORDEL !
Pensé-je alors.
« Ah ben oui, tiens, c’est marrant. On a un suivi, mais votre dossier, ben, je ne le trouve pas. Je me renseigne et vous recontacte dès que j’en sais plus. »

Quelques semaines plus tard, je rappelle. « Ah ben oui, tiens, c’est marrant. Y a un suivi, ça indique que votre dossier est en recherche. Rappelez dans deux semaines. »

Deux semaines plus tard : « Ah ben oui, tiens, c’est marrant. Effectivement, votre dossier a apparemment été perdu. Vous pouvez venir en agence ? Non ? Bon, on vous le renvoie par courrier. »

Deux semaines plus tard, je rappelle. « Bonjour, ici Mlle Parapluie. Voici mon identifiant et ne me dites rien, ah ben oui, tiens, c’est marrant, mon dossier n’est jamais parti, c’est ça ? »
Silence stupéfait au téléphone. « Euh, ben… J’ai l’impression, oui.
- Booooon. Ça fait maintenant 8 mois que dure cette petite plaisanterie. Je suis à deux doigts de la calcification osseuse tellement je bouffe des galets, alors soyez mignonne, mettez une note de type ÇA URGE dans mon dossier. Et ne me l’envoyez pas par Poste, laissez-le à l’accueil, je viens le chercher moi-même. »

Elle a dû écrire « ça urge et elle va nous arracher les yeux » parce que j’ai eu la nette impression, en passant récupérer mon #@%*$£ de dossier, que la brave dame se protégeait discrètement le visage. Ou elle a seulement eu peur de mon regard « Fais péter le dossier, madame, sinon je te fais péter les dents ».

Je remplis mon dossier. Je le renvoie. Commence alors le jeu du il-manque-une-pièce-à-votre-dossier.
Et attention : on ne vous en avertit pas. Jamais. Il faut 4 relances supplémentaires pour le découvrir. On vous renvoie le tout par courrier, vous retournez le dossier avec la pièce manquante, on vous le renvoie à nouveau parce qu’il en manque encore une, etc.
Après 13 mois de bagarre, je pète un câble.
Chance : mon CDD alimentaire s’est terminé et j’ai maintenant pleeeeein de temps. Tout plein. Et vachement les nerfs. Et à nouveau besoin de manger.

Dick botte en touche. Faut que j’aille voir Paul. Je réponds que Paul a dit non pas besoin et miracle, ah ben effectivement y a pas besoin, viens donc nous voir dans 15 jours.

Cette fois, c’est le grand déballage. J’explique à la dame que j’ai vécu des mois à crédit en attendant une indemnisation qui n’est jamais venue, que du coup je suis endettée de partout, que je sens comme un genre de réticence de leur part à faire leur PUTAIN DE BOULOT, que je suis au bord de la prise d’otages et que là, si elle ne me trouve pas une solution genre trèèès très vite, je viens avec une paire de menottes et je m’enchaîne à sa voiture jusqu’à ce qu’on me trouve une solution. Sans déconner, madame, je le fais.
Grossière erreur numéro deux.

Bon à savoir : « Je fais passer votre dossier en priorité », en langage Dick, ça veut dire « Crève dans ta merde, la bouche ouverte et des épines dans les yeux ».

Deux mois plus tard, je retrouve un boulot mais continue les relances.
Téléphone. Manque une pièce. Envoi postal. Dossier perdu. Retrouvé. Et puis en fait non il est bien perdu. Faut passer à l’agence. Puis, enfin, le courrier final :
« Dis donc, c’est bien ballot mais ta demande est prescrite. Tiens, madame, tu viens de te manger 3 000 € de dettes et on ne te donnera pas ton dû pour autant. Sois mignonne et referme la porte en sortant, ça fait courant d’air. »

Note :
Messieurs-et-dames les chômistes, si comme moi vous avez vécu ce grand moment de solitude qu’est la prescription, un conseil : HURLEZ.
Prenez un coussin, un grand espace ou votre petit frère et HURLEZ dedans. Vraiment. À pleins poumons, en pleine rage, jusqu’à vous en casser la gueule de fatigue. Hurlez de toutes vos bronches.
On ne parle pas assez des bienfaits de la beuglothérapie, c’est un tort.

Et sur ce bon conseil, j’vous dis à la prochaine ; la suite au prochain numéro.


[1] Vous aussi, soyez xyloglotte.
[2] J’y reviendrai.

jeudi 30 mai 2013

Où l'on voit des recruteurs margoulins, des questions à munition et même Maître Capello.

Les recruteurs sont d’infâmes tartuffes. Ils savent pertinemment qu’il est strictement illégal de poser certaines questions en entretien… ce qui ne les empêche pas de tenter le coup quand même. Et ces questions-là, je les ai toutes eues – soit sous forme de question directe, soit à la fourbasse, genre « je parle je parle, tu me dis si tu veux intervenir, hein ». Toutes, vous dis-je. Une fois, même, je les ai toutes eues pendant le même entretien.

Vous vous souvenez de ce rendez-vous hivernal désastreux pour un poste trop beau pour être vrai ? Dès l’entretien d’embauche, ça puait le hareng mort.
Déjà, pour démarrer, un test de compétences – fréquent dans ce métier. On me colle une copie et un stylo et en route ; je m’applique, en tirant la langue et tout, termine et me lève pour sortir… Ah tiens, personne dans le couloir. Toux discrète… (*keuf keuf*)
Moins discrète… (*Keuf keuf !*)
Vraiment pas discrète… (*RRREUUUHTEUTEUTEUUUUUH !*)
Poupouffe finit par émerger de derrière son Freecell, m’englue de son regard batracien et m’indique une autre pièce : « M. et Mme Rapiat vont vous recevoir ». Ah bon ? Mais mon test ? Non ? Je le garde, alors ?

10 minutes et pas un verre d’eau plus tard, débarquent les patrons. Par réflexe d’étudiante, je leur tends ma copie avant de dire bonjour. Madame la prend pour la relire, tandis que Monsieur me lance sur un entretien-marathon qui, en tout, durera 90 minutes. Non, ce n’est pas une faute de frappe. 1h30 sur le grill, dont je vais vous livrer ici les meilleurs morceaux.

Attention, dès la première question ça part très fort.

M. Rapiat attrape mon CV et ouvre les hostilités :

« Mlle Ombrello ? Tiens, c’est amusant. C’est de quelle origine ? »
(Ouhlà. Terrain miné. Poste à dimension internationale, la question peut se justifier… je choisis de ne pas ruer dans les brancards tout de suite.)
C’est un nom italien, monsieur.
« Vous êtes italienne ? »
Non, française, de famille italienne.
« Ah, très bien. »
(comment ça, très bien ? Italien c’est pas bien ? Il veut finir dans le fleuve avec des charentaises en béton, lui, ou quoi ?)
« Très catholiques, les italiens, en général, non ? », dit-il, laissant suivre un loooong silence.
(Amen to that, but… really?)
« Je vois que vous avez obtenu un Master 2 en 2005, donc vous avez… »
(Allez, je joue la bécasse.) Un diplôme de 3e cycle, oui.
« Oui, enfin vous devez avoir entre 25 et 30 ans, a priori ? »
(Il insiste, le bougre.) Tout à fait.
Il laisse traîner le silence, mais je ne marche pas. Crève charogne, s’tu veux savoir mon âge, faudra tuer une secrétaire de mairie ou envoyer des chocolats à ma mère. Non mais.
« Master 1 à l’université de VilleOndée 2… Fief des syndicats étudiants, ça. », dit-il, sourcils circonflexes et l’air d’attendre une réponse. Je ne moufte pas.
« Et je vois que votre Master 2, vous l’avez passé à Bourg-Charbon, par contre. Une ville très à gauche aussi, d’ailleurs, tiens. »
(Silence. Tu veux savoir où je vote ? C’est mort.) Ah ? Oui, c’est possible.
« Vous êtes mariée ? Ou vous partagez votre vie avec quelqu’un ? »
(silence estomaqué. Puis, lâchement :) Euh, si on veut. Mais…
« Et vous avez l’intention d’avoir des enfants ? »
(C… Comment ? Ah merde, le sourcil est parti tout seul.) Euh… Attendez…
« Ou est-ce que vous en avez déjà ? C’est important pour nous, vous savez. Visiblement vous avez déjà changé de ville, nous devons savoir si vous avez des attaches à OndéeVille, si vous êtes prête à vous engager à long terme avec nous. »
(silence. Nan, gamin, désolée mais là tu ne m’auras pas.)
« Or le meilleur argument pour rester dans une ville, c’est encore d’y fonder une famille. »
(Il laisse un blanc énorme, là. C’est sûr, il veut une réponse, il ne lâchera pas. Je dégaine l’humour débile ou pas ? Allez.) J’entends bien. Cela dit, ça fait dix ans que je vis ici : mes amis sont ici, ma famille n’y est pas… Le paradis, en somme. Ah ah ah.
« Ah ah ah. Enfin bref. »
(Ouais, c’est ça, « enfin bref », ouais.)
« Vous avez un handicap ? »
(Gné ?) Euh, à part un sens de l’humour particulier, pas que je sache, non, ah ah ah. Pourquoi ?
« Oh, euh, ah ah ah, hum, c’est seulement pour savoir si en cas d’embauche on monte un dossier ou pas. Ahem. Mais sinon, de manière générale, vous êtes en bonne santé ? »
(vite, se retenir de l’envoyer chier et faire une blague) Ah non mais je vous rassure : là j’ai une sale tête, mais c’est uniquement parce que je suis venue à pied sous la neige, en temps normal j’ai l’air beaucoup plus en forme, ah ah ah.
« Ah ah ah. Vous répondez toujours aux questions qui vous embêtent par une pirouette ? »
(OUCH ! Vache, je ne l’ai pas vue venir, celle-là.) Hi hi hi, oui.
« Ce n’est pas très bien, vous savez. Il faut savoir affronter les choses. »
(et toi, tu vas t’affronter mon genou dans les noix, si tu continues, espèce de casse-pieds).

Nous avons donc là le cas d’école qui va bien. Politique, syndicat, vie privée, âge, religion, origine, santé, handicap : pack winner.

La cerise sur le gâteau (pour finir sur une touche sucrée), elle est arrivée à la fin. Après la cuisson à point de Monsieur, Madame débat avec moi de mon test. Plus à l’aise, je réponds à ses questions et m’en tire, je crois, assez bien. Elle note avec plaisir que malgré la longueur et la raideur dudit test, je m’en tire sans faute d’orthographe ni faute de syntaxe.
Monsieur se croit obligé de commenter : « C’est vrai, ça c’est une chose très importante. Ici, on fait attention à ce que toutes nos productions soient irréprochables, ça fait partie de nos valeurs – valeurs professionnelles mais aussi familiales. D’ailleurs, nous avons quatre-z-enfants et nous…. »

À partir de là, sa voix a été couverte par mon Maître Capello intérieur qui criait de rage, hurlait de désespoir, bramait de vieillesse ennemie. Je n’ai jamais su ce que ce vieil horrible avait bien pu enseigner à ses quatre-z-enfants, ses cinq-z-ornithorynques ou ses sept-z-haricots.

Mais une semaine plus tard, ils m’ont rappelée.
J’ai eu le poste.
Et ça refera un post.