lundi 10 juin 2013

Assez, Dick !

ou
Indemnités prescrites, mode d’emploi

Juillet 2005. Toute jeune diplômée, pleine de rêves professionnels, je me présente pour la première fois chez Paul. À cette époque bénie, Paul et son ami Dick font encore chambre à part ; il faut donc aller les voir séparément.

Tout d’abord, passage chez Dick qui, comme son nom l’in-Dick, n’est pas très aimable.
« Oh, là là… Sérieusement, vous n’avez pas encore fait les démarches auprès de l’ANPE ? » (C’est l’ancien petit nom de Paul.), rouspète, ulcérée, une conseillère aux yeux massacrants et à l’humeur de mérou, à moins que ce ne soit l’inverse. « Bon écoutez, ne me faites pas perdre davantage de temps, j’en ai déjà trop peu. Contactez l’ANPE et rappelez-nous. Je vous laisse vous diriger vers la sortie. »

Un tantinet refroidie par l’accueil carcérohuissier[1] reçu chez Dick, je prends rendez-vous avec Paul, qui n’est pas libre avant 3 bons mois, ce qui signifie qu’en attendant je vais devoir manger des cailloux et payer mon loyer au lance-pierre. Ça tombe bien, y a une gravière pas loin.

Lorsque Paul me reçoit enfin, on me fait refaire tout mon historique professionnel (blindé de petits boulots, pour cause de « ce n’est pas maman qui paie mes factures pendant que je vais à la fac »). Me propose zéro taf, mais des stages d’écriture de CV et de lettres de motiv’, ce à quoi je réponds gentiment que mes tonnes de petits jobs prouvent que je sais déjà faire. Et là, la question qui tue : « Au fait, vous avez vu Dick ?
-          Oui, mais il m’a dit que je devais vous voir avant.
-          Ah bon ? Ah. C’est étonnant. Eh bien, pour votre indemnisation, il ne vous reste qu’à reprendre rendez-vous avec Dick, alors. »

La conseillère m’explique ensuite qu’avec mes diplômes, je ferais mieux de me tirer à l’étranger – conseil qu’à retardement je me maudis de ne pas avoir écouté. Et conclut sur une phrase que j’ai entendue six mille fois depuis :
« Cela dit, je ne me fais aucun souci pour vous. »[2]

J’appelle Dick direct en sortant, qui me dit « ouais ouais, pas de problème, passe d’ici un mois et demi ». Traduction : tu vas te taper 45 jours de plus d’alimentation minérale.
Entretemps, bien sûr, je trouve un petit boulot alimentaire quelconque. J’appelle Dick pour l’avertir, Dick prend note. Du moins le crois-je.
15 jours plus tard, il y a une lettre de lui dans ma boîte aux lettres. Bonjour, je ne te donnerai pas de sous, tu n’avais qu’à venir au rencard ou au moins m’avertir. Mais mais mais ?!
Je rappelle Dick, un rien tendue. « Mais j’avais dit à la dame au téléphone !
-          Ah ben oui, il y a une note dans votre dossier. Bon, on va reprendre un rendez-vous.
-          Mais j’peux pas, je travaille !
-          Ah bon ? Très bien, dans ce cas on va faire un dossier papier pour vous donner des sous et ça va le faire tout seul. »

Trois semaines plus tard, ne voyant rien venir, je rappelle. « Pour être indemnisée, vous allez devoir venir en agence.
-          Mais j’peux pas, je travaille ! », insisté-je.
« Oui mais c’est comme ça. Venez tel jour de semaine, en pleine journée, merci bonsoir. »

Je prends un congé exceptionnel et anticipé auprès de mon patron compréhensif, me rends en agence. Où on m’annonce que j’aurais dû venir plus tôt, que si je travaille on aurait pu m’envoyer un dossier par courrier plutôt que de me convoquer sur place, que je n’avais pas besoin de voir Paul avant de voir Dick. Je commence gentiment à bouillir et réponds un peu sèchement à la brave dame.
Erreur, grossière erreur.
« Bon, j’envoie votre dossier, à bientôt. »

Et silence radio.

Je rappelle quelques semaines plus tard. « Bonjour ! Je vous appelle pour connaître l’avancement de mon dossier.
-          Quel dossier ? »
Mmmmmhhsdfgqdrgoeoiurghqeouidf BORDEL !
Pensé-je alors.
« Ah ben oui, tiens, c’est marrant. On a un suivi, mais votre dossier, ben, je ne le trouve pas. Je me renseigne et vous recontacte dès que j’en sais plus. »

Quelques semaines plus tard, je rappelle. « Ah ben oui, tiens, c’est marrant. Y a un suivi, ça indique que votre dossier est en recherche. Rappelez dans deux semaines. »

Deux semaines plus tard : « Ah ben oui, tiens, c’est marrant. Effectivement, votre dossier a apparemment été perdu. Vous pouvez venir en agence ? Non ? Bon, on vous le renvoie par courrier. »

Deux semaines plus tard, je rappelle. « Bonjour, ici Mlle Parapluie. Voici mon identifiant et ne me dites rien, ah ben oui, tiens, c’est marrant, mon dossier n’est jamais parti, c’est ça ? »
Silence stupéfait au téléphone. « Euh, ben… J’ai l’impression, oui.
- Booooon. Ça fait maintenant 8 mois que dure cette petite plaisanterie. Je suis à deux doigts de la calcification osseuse tellement je bouffe des galets, alors soyez mignonne, mettez une note de type ÇA URGE dans mon dossier. Et ne me l’envoyez pas par Poste, laissez-le à l’accueil, je viens le chercher moi-même. »

Elle a dû écrire « ça urge et elle va nous arracher les yeux » parce que j’ai eu la nette impression, en passant récupérer mon #@%*$£ de dossier, que la brave dame se protégeait discrètement le visage. Ou elle a seulement eu peur de mon regard « Fais péter le dossier, madame, sinon je te fais péter les dents ».

Je remplis mon dossier. Je le renvoie. Commence alors le jeu du il-manque-une-pièce-à-votre-dossier.
Et attention : on ne vous en avertit pas. Jamais. Il faut 4 relances supplémentaires pour le découvrir. On vous renvoie le tout par courrier, vous retournez le dossier avec la pièce manquante, on vous le renvoie à nouveau parce qu’il en manque encore une, etc.
Après 13 mois de bagarre, je pète un câble.
Chance : mon CDD alimentaire s’est terminé et j’ai maintenant pleeeeein de temps. Tout plein. Et vachement les nerfs. Et à nouveau besoin de manger.

Dick botte en touche. Faut que j’aille voir Paul. Je réponds que Paul a dit non pas besoin et miracle, ah ben effectivement y a pas besoin, viens donc nous voir dans 15 jours.

Cette fois, c’est le grand déballage. J’explique à la dame que j’ai vécu des mois à crédit en attendant une indemnisation qui n’est jamais venue, que du coup je suis endettée de partout, que je sens comme un genre de réticence de leur part à faire leur PUTAIN DE BOULOT, que je suis au bord de la prise d’otages et que là, si elle ne me trouve pas une solution genre trèèès très vite, je viens avec une paire de menottes et je m’enchaîne à sa voiture jusqu’à ce qu’on me trouve une solution. Sans déconner, madame, je le fais.
Grossière erreur numéro deux.

Bon à savoir : « Je fais passer votre dossier en priorité », en langage Dick, ça veut dire « Crève dans ta merde, la bouche ouverte et des épines dans les yeux ».

Deux mois plus tard, je retrouve un boulot mais continue les relances.
Téléphone. Manque une pièce. Envoi postal. Dossier perdu. Retrouvé. Et puis en fait non il est bien perdu. Faut passer à l’agence. Puis, enfin, le courrier final :
« Dis donc, c’est bien ballot mais ta demande est prescrite. Tiens, madame, tu viens de te manger 3 000 € de dettes et on ne te donnera pas ton dû pour autant. Sois mignonne et referme la porte en sortant, ça fait courant d’air. »

Note :
Messieurs-et-dames les chômistes, si comme moi vous avez vécu ce grand moment de solitude qu’est la prescription, un conseil : HURLEZ.
Prenez un coussin, un grand espace ou votre petit frère et HURLEZ dedans. Vraiment. À pleins poumons, en pleine rage, jusqu’à vous en casser la gueule de fatigue. Hurlez de toutes vos bronches.
On ne parle pas assez des bienfaits de la beuglothérapie, c’est un tort.

Et sur ce bon conseil, j’vous dis à la prochaine ; la suite au prochain numéro.


[1] Vous aussi, soyez xyloglotte.
[2] J’y reviendrai.